Napoléon et l’innovation : le french art de la guerre (3ème partie)

… 3ème et dernier épisode dans notre trilogie du printemps dédiée à Napoléon !

3.    Le bataillon carré : le pendant militaire du jardin à la française

L’armée de l’empire a donc une vision de la manœuvre à l’échelle d’un pays avec des corps d’armée puissants et autonomes. Il ne lui manque plus qu’une doctrine générale d’emploi.

Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard in 1800. Peinture de Jacques-Louis David.

Lors de la campagne d’Italie, en 1796, le Général Bonaparte doit défendre un vaste territoire contre une invasion autrichienne. Les troupes de la révolution ayant fort à faire sur d’autres théâtres, il n’a malheureusement pas les effectifs nécessaires pour contrer l’armée autrichienne. Cette dernière risque de se retrouver en surnombre pour s’emparer des places fortes défendues par les Français. C’est là que Napoléon va avoir une idée à la fois simple et géniale [1] : placer ses troupes aux quatre coins d’un quadrilatère, de plus ou moins un jour de marche de côté. Chaque fois que l’ennemi se présente devant une place forte tenue par l’armée de la Révolution, les renforts venus des deux coins adjacents arrivent pour lui prêter main forte. Les Autrichiens seront ainsi tenus en échec et Bonaparte rentrera en France auréolé de ses succès.

Cette organisation sera par la suite baptisée « bataillon carré ». Lorsque la Grande Armée sera en campagne, elle se déplacera toujours en adoptant ce schéma, un corps d’armée à chaque coin du quadrilatère d’un jour de marche de côté, avec au centre la garde impériale et la réserve de cavalerie (la forme exacte et donc la taille des côtés pouvant évoluer en fonction de la direction probable de la menace principale). Si un coin rencontre l’ennemi, il se configure défensivement et attend les renforts de deux autres côtés et de la cavalerie de réserve. Si l’adversaire est repéré avant, Napoléon peut faire manœuvrer ses corps d’armée pour les faire au choix, converger vers l’ennemi ou au contraire le contourner. Une configuration qui ne sera jamais prise en défaut jusqu’en 1812 et la rencontre avec le « général hiver » lors de la campagne de Russie.

Cette organisation est aujourd’hui baptisée « quadrilatère stratégique ». Elle est toujours enseignée dans les écoles militaires.

4.    Conclusion : quelles leçons pour l’entreprise au 21ème siècle ?

Aujourd’hui, les bienfaits de la pensée hors du cadre ou d’une organisation décentralisée sont entrés dans les mœurs. L’entrepreneur est plus que jamais celui qui sait bien s’entourer, qui délègue, anime, donne les orientations et ne se perd pas dans le micro-management.

Au-delà de cette première conclusion, c’est plutôt du côté de la pensée stratégique que nous devons rechercher un enseignement.

En premier lieu, le refus de se précipiter au-devant de l’ennemi pour un choc frontal sur le champ de bataille n’est pas sans rappeler la fameuse stratégie de l’« océan bleu » [2].  Aller là où les concurrents ne vous attendent pas, créer la surprise stratégique en répondant à un besoin non encore satisfait plutôt que se battre sur les prix pour gagner des parts de marché, est à la base de la stratégie d’innovation.

Ensuite, nous pouvons reconnaitre le mérite d’une organisation qui privilégie la souplesse, l’agilité et la vitesse d’exécution. Là aussi, ce sont des notions largement acceptées qu’il n’est toutefois pas inutile de rappeler. Pour commencer, il faut en passer par un lieu commun : ne pas confondre vitesse et précipitation. Napoléon consacrait beaucoup de temps à étudier les cartes pour avoir une connaissance précise du terrain. En matière de management de l’innovation, il est indispensable d’avoir une connaissance préalable du client afin de comprendre ses besoins implicites et de définir, dès le début, la valeur qui sera proposée.  Une fois la conception lancée, les modifications et adaptations seront bien plus couteuses en temps et en argent.

Pour finir, avoir la capacité de couvrir un large spectre tout en étant en mesure de se focaliser rapidement sur un segment donné pour exploiter une opportunité est à la base des organisations industrielles gagnantes.


[1] Napoléon était doué pour les mathématiques et la géométrie, comme l’attestera Pierre-Simon de Laplace, son examinateur à l’entrée de l’école d’artillerie.

[2] Décrite dans le livre éponyme de W. Chan Kim et Renée Mauborgne paru en 2005

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