Napoléon et l’innovation : le french art de la guerre (2ème partie)

… 2ème épisode dans notre trilogie du printemps dédiée à Napoléon …

2.  Le corps d’armée : l’innovation de rupture dans l’organisation militaire

Imaginer un vaste mouvement stratégique à l’échelle d’un pays est une chose, le mener à bien en est une autre. Certes, les armées françaises voyagent léger pour se déplacer plus vite. Les soldats dorment à la belle étoile et n’hésitent pas à recourir au pillage pour améliorer l’ordinaire. Il n’empêche : déplacer 100 000 hommes, une dizaine de milliers de chevaux et des milliers de canons pour les faire converger en même temps vers un lieu unique avec pour seul moyen de communication des estafettes à cheval n’est pas qu’un défi logistique : c’est une prouesse organisationnelle.

Le Maréchal Louis Nicolas Davout à la bataille d’Auerstaedt, le 14 Octobre 1806. Par Dick de Lonlay.

Depuis le 18ème siècle, les armées devenant de plus en plus imposantes, il s’est révélé pertinent de regrouper les régiments en divisions spécialisées (cavalerie, infanterie etc.). Cela participe à l’homogénéisation des pratiques et facilite le commandement. Même ainsi organisée en divisions, coordonner les mouvements d’une armée de plusieurs centaines de milliers de soldats suppose de coordonner directement la manœuvre de plus d’une cinquantaine d’entités spécialisées commandées par autant de généraux. Pour un seul homme, fût-il un « génie militaire », c’est extrêmement compliqué.

Aussi Napoléon va-t-il créer une innovation organisationnelle majeure en inventant le corps d’armée. Il s’agit tout simplement d’une armée modèle réduit, complètement intégrée et autonome, avec son génie pour franchir les obstacles et sa propre logistique. Il y en aura 7, chacun commandé par un Maréchal d’empire (ceux qui ont donné leurs noms aux boulevards de la petite ceinture parisienne). Alors que les généraux de l’ancien régime (et des empires voisins) avaient pour la plupart hérité de leur charge, les maréchaux français, issus de la Révolution, s’étaient distingués par leur courage, leur intelligence et leur aptitude au commandement. S’ils étaient dévoués corps et âme à l’Empereur, ils étaient de véritables chefs capables d’initiative. Ainsi, à Austerlitz, Napoléon donnait-il ses ordres à 5 officiers brillants tandis que la coalition Austro-Russe devait coordonner l’action de dizaines de généraux plus ou moins talentueux et disciplinés. Par-dessus tout, Napoléon a dimensionné chaque corps d’armée pour pouvoir tenir un jour entier face à un ennemi en surnombre. Il avait suffisamment de fantassins pour se déployer et tenir le terrain, appuyés par assez de canons pour ralentir la progression de l’adversaire, et assez de cavalerie pour se livrer à de puissantes contre-attaques. Ce sont ces caractéristiques inédites qui sont à l’origine de la plus spectaculaire et, sur le plan historique, la plus funeste des victoires napoléoniennes : Iéna.

En 1806, les prussiens ont décidé de mettre un terme à la domination française. Ils ont levé une puissante armée et sont descendus à la rencontre de Napoléon, qui se trouve alors dans le sud-est de l’Allemagne. Les armées se cherchent mais ne se trouvent pas tout de suite. Les prussiens sont parvenus jusqu’à la charmante bourgade d’Iéna où des éclaireurs français les repèrent. Averti, Napoléon étudie attentivement les cartes comme il le fait toujours, et constate que la place sera difficile à défendre. C’est une aubaine à exploiter sans attendre. Il fait converger le gros de ses troupes sur la plaine d’Iéna et demande au Maréchal Davout de faire un crochet par le nord pour couper la retraite de l’ennemi. Ce que Napoléon ignore, c’est que les prussiens ont fait le même constat que lui ! Sans se savoir repérés, ils décident de ne pas s’attarder sur place. Ils font faire demi-tour à leur armée et repartent vers le nord et leur base arrière de Leipzig. Ainsi, les Français déboulent sur Iéna où ils ne rencontrent qu’une modeste arrière-garde tandis que le corps d’armée de Davout tombe nez à nez avec le gros de l’armée prussienne en ordre de marche à proximité de la ville d’Auerstedt. Et c’est là que le concept de corps d’armée prend tout son sens. Même à 1 contre 4, Davout a suffisamment de fantassins, de cavaliers et de canons pour tenir et fixer l’ennemi le temps que le gros de la troupe arrive et le prenne à revers. Le choc est tel que les hommes de l’empereur Frederic-Guillaume III s’enfuient dans les bois pour échapper à la « furia franchese »[1]. Cinquante ans plus tard, un certain Bismarck déclarera vouloir laver l’affront de la défaite d’Iéna… Puis les Français voudront laver l’affront de 1870 etc. On connait malheureusement la suite.


[1] Cette expression fait référence à une bataille s’étant déroulée au 15e siècle.

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