C’est une scène de cauchemar que tous les responsables innovation ont vécu au moins une fois dans leur carrière: vous avez peaufiné votre power point et vos arguments imparables, chiffres et illustrations à l’appui. Votre équipe a planché pendant des heures sur l’idée en suivant scrupuleusement toutes les étapes du processus d’innovation. Bref, vous êtes confiant, remonté à bloc… Mais voilà qu’à l’issue de votre exposé au cours duquel vous vous êtes trouvé convaincant, votre patron lâche, avant de clore la réunion : « ok, mais on fait une étude de marché avant d’aller plus loin ». Et là, vous ne le savez peut-être pas encore, mais c’est fichu, condamné, enterré, bref : mort !
D’où vient cette funeste certitude ?
La réponse est simple : un client n’a jamais conscience d’avoir besoin d’un produit ou d’un service qu’il ne connait pas.
La première fois qu’on a demandé à un panel de consommateurs européens s’ils désiraient manger du maïs en salade, le sentiment général était assez clair : le maïs, c’est pour les poules. Pourtant, le maïs doux est depuis devenu un ingrédient courant de notre alimentation.
Plus près de nous, des études très bien conçues montraient sans ambiguïté que la téléphonie 3G permettrait d’abord l’essor de la visiophonie (je passe sous silence les enquêtes plus anciennes montrant que le téléphone mobile serait surtout un outil pour les professionnels).
Ces exemples nous apprennent que la méthode consistant à demander directement à de futurs clients de quoi ils ont besoin est vouée à l’échec dès lors qu’il s’agit d’innovation.
Et n’allez pas vous imaginer que les entreprises sont des clients naturellement mieux tournés vers des achats innovants. La plupart des cahiers des charges émis dans le cadre de consultations ne laissent que bien peu de place à la nouveauté pour le fournisseur. Et je ne parle pas des marchés publics…
Ainsi, il serait impossible d’anticiper le besoin pour des produits ou services innovants ?
Heureusement, il n’en est rien. C’est d’ailleurs précisément pour cela que le marketing de l’innovation et, plus largement, le management de l’innovation ont été inventés. Ces disciplines possèdent leurs méthodes, outils et bonnes pratiques qui permettent d’identifier de futurs usages.
A la base de toutes ces méthodes (études ethnographiques, focus groups, design thinking, etc.) on trouve la notion d’intimité avec le client. C’est cette intimité qui mène à la détection des problèmes non résolus (on ne le répètera jamais assez : innover c’est toujours résoudre un problème). Au-delà, la compréhension et la prise en compte des grandes évolutions sociétales s’imposent comme des facteurs clés de succès. C’est ce que le mot anglo-saxon « Insight », que nous pouvons traduire par « Intuition », essaie de résumer. Et c’est là que le chef d’entreprise intervient. Qui, si ce n’est lui, le top manager, peut bien avoir une intuition forte et suffisante pour lui permettre la prise de décision en matière d’innovation ?
Les organisations dans lesquelles ce rôle a été délégué à un responsable innovation sans réel pouvoir, qui s’épuise à force de s’entendre répéter : « ok, on va d’abord faire une étude de marché », sont vouées à l’échec.
L’innovation est donc une décision d’entrepreneur (ça faisait longtemps que nous n’avions pas parlé de Schumpeter…) car seul l’entrepreneur est à même de prendre le risque de lancer un produit ou service novateur avec pour seul argument sa vision de l’avenir du secteur, uniquement issue de son intuition.
« The voice of customer » est avant tout une imparable technique pour qui veut tuer son chien et n’est d’aucun secours en matière d’innovation.
Le management de l’innovation peut apporter une aide précieuse mais ne pourra jamais remplacer la volonté du chef d’entreprise.
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Cet article inaugure une série consacrée aux erreurs les plus courantes en matière d’innovation. A partir de notre propre vécu, nous essaierons d’aborder sur un ton léger mais professionnel les fausses pistes parfois empruntées en matière de stratégie, d’organisation ou de conduite opérationnelle des projets d’innovation.